L'aventure : étymologiquement, ce qui va arriver,
c'est-à-dire, nous l'espérons bien, ce qui va
troubler notre situation, déranger notre quiétude.
Mot explosif, chargé de toute une dynamite
d'imprévu, d'insolite, d'inquiétant, voire d'un
périlleux qui fait agréablement frissonner. Mais
aussi, certitude d'une nouveauté et peut-être d'un
renouveau. Le hasard, surtout dangereux, remettant
en cause notre état présent, transforme notre
destin, nous offre l'occasion de faire notre mue.
A nous de la saisir.
Aussi l'aventure, bien que
riche en fatigues, en souffrances, en risques, est
toujours tentante. Ceci pour deux raisons.
D'abord elle nous
divertit, en faisant craquer le cercle de nos
habitudes. Après l'aventure, nous avons des
chances de vivre dans des conditions tout autres
que précédemment. Pendant l'aventure, nous sommes
affranchis de nos soucis routiniers, nous vivons à
un rythme exaltant ; l'ennui, le chagrin, la peur
du lendemain s'estompent. Nous avons, en vivant
l'aventure, un sentiment de libération : du fait
que nos habitudes, notre mode de vie sont
bouleversés, nous sentons se relâcher nos liens
avec le passé et les contraintes sociales,
légales. Nous devenons disponibles, prêts à une
existence vierge, — impression enivrante qui nous
donne l'illusion que nous ne pesons plus sur terre
de notre poids d'homme. Mirage, sans doute, dans
la plupart des cas. Seules les grandes aventures,
celles qui mettent la vie en jeu, guerre, complot,
révolution libèrent intégralement ceux qui les
vivent.
En outre, confrontés
à un état de choses inattendu, nous sommes obligés
de faire un effort sur nous-mêmes pour nous
adapter à des circonstances inconnues. Si banale
soit-elle - simple incident de voyage - l'aventure
nous contraint à nous dépasser, en montrant
présence d'esprit, souplesse, parfois courage et
endurance. Bref ce qu'il y a de meilleur en nous
est sollicité, mis à profit. Une fois le cap
franchi, nous risquons d'être meilleurs :
peut-être avons-nous été débarrassés de
préventions, de craintes futiles. Nos vertus,
mises à l'épreuve, se seront épanouies. Les
caprices du sort ont pu nous ménager de bénéfiques
contacts. En un mot l'aventure est enrichissante.
Nous faisons peau neuve et notre nouvelle
enveloppe est de matière plus rare.
C'est que
l'amour de l'aventure a des interférences avec le
sens exotique, le désir d'évasion, le goût des
voyages, le sentiment héroïque. Au départ de
l'aventure, quelle qu'elle soit, il y a toujours
un besoin de changement. Tous les aventuriers ne
sont pas des pirates, mais ils veulent changer
d'horizon. Le mouvement leur est imposé :
déplacement corporel en général, quelquefois
divagation de l'esprit, errance dans le monde du
rêve ou des chimères. Certes les sages résistent à
cette quadruple tentation : ils s'accommodent de
leur sort, ils démystifient l'héroïsme, ils vivent
en plein accord avec eux-mêmes, ils restent en
place. Diogène dans son
tonneau, Montaigne en sa librairie, Pascal dans
sa chambre, La Fontaine dans ses parcs.
L'immobilité, c'est le remède efficace contre le
désir de tenter l'aventure, d'aller « ailleurs »,
afin de connaître une existence plus comblée, de
cueillir l'immortalité de la gloire. Certes, tous
ceux qui ne sont pas des sages, et qui s'agitent,
ne sont pas des aventuriers. La plupart restent
cramponnés à leur bureau, à leur pré, à leur
usine, à leur école, se contentant de grommeler et
de rêver à l'aventure. Seule une mobilisation
générale ou un cataclysme, leur forçant la main,
les pousse à partir. L'aventurier authentique, non
mobilisé, est un homme qui se meut librement : on
ne court pas l'aventure sur place. Un
environnement habituel, une façon de vivre
monotone, des visages trop connus érodent les
passions primaires, seul levain de l'esprit
d'aventure.
Le
mot « aventurier » fait naître des sentiments
ambigus : admiration pour l'homme qui ose et fait
bon marché de sa vie, méfiance à l'égard d'un
individu en marge dont l'action, même louable,
heurte l'opinion publique. Il est indéniable que
l'aventurier, dans l'ordre de l'action ou dans le
domaine de la pensée, porte en lui des virtualités
héroïques. Le Grand Larousse Encyclopédique le
définit : "Qui cherche la gloire par les armes".
Définition désuète et restreinte : il est, depuis
longtemps, d'autres aventures que les hasards des
combats.
Il existe, en effet,
une autre catégorie d'aventuriers, hommes
d'action, hommes de science ou de foi. Eux aussi,
à leur manière, s'engagent dans des entreprises
hasardeuses. L'amour du risque les exalte, les
incite à se surpasser. A la différence des
précédents, ils sont désintéressés, le désir de
servir les anime, même s'ils usent de violence. Au
Moyen Âge, il y eut des chevaliers errants - Don
Quichotte est leur parodie littéraire -, en
toute période troublée, des conspirateurs.
Certes, ils font bon marché de leur vie, de la vie
des autres ; mais le mobile qui les voue à
l'aventure, si discutable soit-il, reste noble :
ils servent une cause qu'ils croient juste, ils
assouvissent une vengeance qu'ils jugent légitime.
Ils jouent un jeu dangereux pour le triomphe d'un
parti.
D’autres
aventuriers, hautement estimables, sans verser le
sang, mettent en jeu pareillement leur bonheur,
leur réputation, leur vie. Ce sont des êtres
sociaux, remarquablement équilibrés, mus par un
noble dessein. Ils servent les intérêts de
l'humanité en explorant des pays inconnus, des
espaces hors de notre portée, ou l'univers
infiniment mystérieux que constitue notre être. Ce
sont tous des chercheurs d'aventure, puisqu’au
départ et au cours de l'action, ils prennent un
risque : affronter le danger, l'indifférence ou
l'hostilité, parier sur une hypothèse qui peut se
révéler erronée, se heurter à des obstacles
matériels ou spirituels... Leur action est
inoffensive : elle ne s'exerce pas au détriment
d'un homme, d'un groupe. Rarement
l'explorateur des déserts ou des forêts
tropicales s'ouvre une route à coups de fusil.
Quant au savant, au mystique, il assume
personnellement tous les dangers.
Le destin de l’aventurier semble exaltant parce
qu’il est le sort d’un homme libre, libéré. Et
aussi d'un être menacé. Nous savourons cette
insécurité permanente où il se complaît, au point
de la provoquer quand il est hors de péril. Nous
nous l'approprions. C'est encore pour le lecteur
une manière d'être libre. Notre vie quotidienne
s'écoule, sans heurt, sans inquiétude majeure. Les
structures légales et sociales nous protègent. Les
risques d'agression, d'imprévu sont minimes. Cette
sécurité, inconsciemment, nous est pénible, elle
secrète la routine, l’ennui. Nous rêvons
d'anomalies qui en rompraient la permanence. La
plus insignifiante manifestation, le moindre
incident au cours d'une randonnée sont accueillis
avec une satisfaction inavouée. […]
Aujourd'hui
comme autrefois, tout être porte en lui le démon
de l'aventure. Or,
bien peu sont en état de la vivre ; l'immense
majorité se contente de la rêver. Manque d'audace
? D'occasion ? Timidité ? Lâcheté ? Esprit
casanier ? Certes. Mais pourquoi affronter
corporellement les risques ? Il y a les livres,
les revues, les spectacles qui, sollicitant
l'imagination, donnent, presque chaque jour, le
sentiment exaltant d'une insécurité permanente.
Romans policiers, romans d'espionnage, feuilletons
télévisés, westerns, films d'action... L'enfant au
retour de l'école, l'ouvrier sortant de l'usine,
le commerçant après la fermeture de sa boutique,
la vendeuse libérée de son magasin, l'intellectuel
même, son travail fini, sacrifient, sans le
savoir, à l'instinct primitif de l'aventure,
indirectement, en restant assis, par
l'intermédiaire d'un cinéma de quartier ou des
boulevards, du livre de poche, de la télévision. Selon
leur âge, ils sont shérifs ou hors-la-loi,
Maigret, James Bond, San Antonio - pour quelques
francs lourds, deux heures d'affilée. Les
Montagnes Rocheuses et leurs Peaux Rouges, les
agents secrets et leur double vie, les
gangsters, les trafiquants, ceux qui les
traquent... quelle compensation à la monotonie
de leur existence ! Les barons du XIIe siècle ne
procédaient pas autrement. Ils n'étaient pas
toujours à la guerre, à la croisade. La plupart
du temps, ils restaient inactifs, dans leur
donjon, réduits aux dangers limités par des
chasses et des tournois... Un trouvère
survenait-il, déclamant quelque geste ? Pendant
la durée de la récitation au son du rebec le
seigneur pourfendait les Sarrasins, se rebellait
contre Charles le Grand, gagnait des cités, des
batailles.
Aujourd'hui
cette évasion dans l'aventure rêvée - précédemment
réservée aux bambins et aux poètes - est un besoin
d'autant plus vif que notre époque, plus que
jamais, semble impropre à l'aventure.
Notre terre est de mieux en mieux connue.
Plus de zone mystérieuse, l'Amazonie exceptée, que
l'on puisse explorer en risquant sa vie, où l'on
puisse vivre librement, sans se soucier des lois
et des usages. Les
Américains ont installé un aéroport au Pôle ; on
cultive la canne à sucre dans les îles que
hantaient les flibustiers ; les atolls du
Pacifique sont le théâtre d'expériences
nucléaires. La vie policée, réglée par la
police, s'est insinuée partout. Plus d'endroits
non civilisés où l'on serait naufragé,
contrebandier, chercheur d'or et de bagarres.
Qu'est devenu le domaine privilégié de l'aventure
? Chaque week-end, à l'usage des touristes, les
Indiens du Colorado organisent des spectacles
folkloriques avec plumes, peintures de guerre,
danse du scalp.
La vie quotidienne est strictement
réglementée, frustrée et pittoresque, de
diversité, de fantaisie. En Alaska comme en
Patagonie, l'individu, dès sa naissance est
recensé, fiché, voué à tenir un rôle social. S'il
ne veut pas encourir les foudres du pouvoir, il
doit se faire "une situation", mot suintant la
stabilité, le conformisme, l'immobilité et donc
l'immobilisme. Personne n'a plus les coudées
franches. Peu de gens donnent forme à leur vie
selon leur désir. [...] La civilisation moderne
est l'ennemie de l'aventure. Elle prétend
organiser un monde aussi minutieusement et
implacablement agencé qu'une mécanique de
précision. Que deviennent alors l'esprit
d'indépendance, la fantaisie, le rêve, ferments de
l'esprit d'aventure ?
Roger
Mathé, L'Aventure d'Hérodote à Malraux.
Bordas, 1978.
|
Première
étape : l'énonciation :
Une première - voire une seconde - lecture doit vous
amener à
identifier les caractères essentiels du texte, que
votre résumé devra
reproduire :
- situation d'énonciation (de type expressif ici);
- niveau de langue;
- difficultés de vocabulaire : attention par exemple
aux mots létale,
truismes,
immanence,
malencontre
(néanmoins expliqué dans son contexte).
Deuxième
étape : thème, thèse :
- Efforcez-vous de formuler pour vous-même le sujet
du texte (au
besoin, donnez-lui un titre; ici, le texte
pourrait s'intituler : Le
refus de l'État dans les sociétés primitives).
- Plus important encore : repérez la (ou les)
thèse(s) et prenez soin
de la (les) rédiger rapidement. Dans ce
texte, l'auteur, s'appuyant sur l'exemple des
Sauvages, veut établir qu'une société bâtie sur un
pouvoir étatique ne peut jamais revenir à une
société sans État.
Troisième
étape : l'organisation
:
La lecture du texte vous fait percevoir par les
paragraphes différentes
unités de sens. Ces paragraphes constituent
cependant des indices
insuffisants de l'organisation. Vous savez que tout
raisonnement
discursif s'accompagne de connexions logiques (nous
les soulignons en rouge
: en gras
pour les connexions essentielles) qui vous feront
percevoir
l'enchaînement des arguments. Après avoir en
trois points montré que les sociétés primitives
refusent délibérément l'État, l'auteur explique
leur choix et conclut sur l'irréversibilité du
choix du pouvoir étatique.
Comme toujours dans une argumentation, les
arguments
s'accompagnent d'exemples : leur caractère concret
et circonstancié
vous permet de les repérer d'emblée (nous les
soulignons en bleu).
C'est cette
organisation que nous
vous invitons à représenter précisément dans un tableau
de
structure : ne pensez pas que le fait
d'établir ce tableau au
brouillon vous fera perdre du temps. Une fois
rempli, il vous permettra
au contraire d'aller plus vite dans la
reformulation, chaque unité de
sens étant nettement repérée :
- la colonne Parties sépare chaque étape
de l'argumentation,
que la colonne Sous-Parties décompose si
nécessaire.
- la colonne Arguments vous permet
d'identifier rapidement
chaque argument et d'aller déjà vers son expression
la plus concise en
repérant les mots-clefs. C'est cette colonne,
surtout, qui vous sera
précieuse.
- quant à la colonne Exemples, elle vous
permet de repérer ce
que votre résumé pourra ensuite ignorer (attention
cependant au fait
qu'un long paragraphe d'exemples peut avoir une
valeur argumentative !).
|