SERVITUDE ET SOUMISSION
CORPUS DE
CITATIONS |
MÉCANISME DE LA SOUMISSION
1- Le plus grand secret du gouvernement monarchique et son intérêt principal consistent à tromper les hommes et à masquer du nom spécieux de religion la crainte qui doit les retenir, afin qu’ils combattent pour leur servitude comme si c’était pour leur salut et tiennent non pour une honte, mais pour le plus grand honneur, de gaspiller leur sang et leur vie pour la vanité d’un seul homme.
Baruch SPINOZA, Traité théologico-politique.
2- Créer une représentation nationale dans un pays très centralisé, c'est donc diminuer le mal que l'extrême centralisation peut produire, mais ce n'est pas le détruire.
Je vois bien que, de cette manière, on conserve l'intervention individuelle dans les plus importantes affaires; mais on ne la supprime pas moins dans les petites et les particulières. L'on oublie que c'est surtout dans le détail qu'il est dangereux d'asservir les hommes. Je serais, pour ma part, porté à croire la liberté moins nécessaire dans les grandes choses que dans les moindres, si je pensais qu'on pût jamais être assuré de l'une sans posséder l'autre.
Alexis de TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique.
3- Les monarques ne se distinguent pas des autres hommes par la force physique ou par leurs qualités d’esprit, et pourtant, des millions d’hommes acceptent d’être soumis à leur autorité. C’est une absurdité de dire que les hommes se laissent gouverner à l’encontre de leurs intérêts, de leurs buts, de leurs projets, car les hommes ne sont pas stupides à ce point. C’est leur besoin, c’est la force interne de l’Idée qui, elle-même, les contraint, même contre leur conscience apparente, à cette soumission et les maintient dans cette sujétion.
G.W.F. HEGEL, addendum au § 281 des Principes de la philosophie du droit.
4- Le songe d’une société parfaite, les historiens des idées le prêtent volontiers aux philosophes et aux juristes du XVIIIe siècle ; mais il y a eu aussi un rêve militaire de la société ; sa référence fondamentale était non pas à l’état de nature, mais aux rouages soigneusement subordonnés d’une machine, non pas au contrat primitif, mais aux coercitions permanentes, non pas aux droits fondamentaux, mais aux dressages indéfiniment progressifs, non pas à la volonté générale, mais à la docilité automatique.
Michel FOUCAULT, Surveiller et punir.
5- La tyrannie ne surgit et ne s'instaure dans aucun autre régime politique que la démocratie : c'est de l'extrême liberté que sort la servitude la plus totale et la plus rude.
PLATON, La République, 564a.
6- Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l'esclavage : on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d'imaginer des formes de servitudes pires que les nôtres, parce que plus insidieuses : soit qu'on réussisse à transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu'elles sont asservies, soit qu'on développe chez eux, à l'exclusion des loisirs et des plaisirs humains, un goût du travail aussi forcené que la passion de la guerre chez les races barbares.
Marguerite YOURCENAR, Mémoires d'Hadrien.
7- Le monarque colore du nom de religion la crainte qui doit pouvoir maîtriser les hommes afin qu’ils combattent pour leur servitude, comme s’il s’agissait de leur salut, et croient non pas honteux, mais honorable au plus haut point de répandre leur sang et leur vie pour satisfaire la vanité d’un seul homme.
Baruch SPINOZA, Traité théologico-politique, Préface.
DÉLICES DE LA SERVITUDE
8- La servitude abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer.
VAUVENARGUES, Réflexions et Maximes.
9- Dans ses rapports avec l'autorité, l'individu se trouve perpétuellement confronté avec une structure de récompenses : la docilité lui vaut généralement une faveur quelconque alors que la rébellion entraîne le plus souvent un châtiment. Parmi les nombreuses formes de récompense décernées à la soumission inconditionnelle, la plus ingénieuse reste celle qui consiste à placer l'individu dans une niche de la structure dont il fait partie.
Stanley MILGRAM, Organisation sociale et dépendance hiérarchique.
10- La prévention du peuple en faveur des Grands est si aveugle, et l’entêtement pour leur geste, leur visage, leur ton de voix et leurs manières si général que s’ils s’avisaient d’être bons, cela irait à l’idolâtrie.
LA BRUYÈRE, Les Caractères, Des Grands.
11- Souvent ce que l’on conteste à la légitimité, on l’accorde à l’usurpation : les hommes dans leur orgueil se consolent de l’esclavage lorsqu’ils ont eux-mêmes choisi leur maître parmi leurs égaux.
CHATEAUBRIAND, Les Quatre Stuarts.
12- Le faste de nos contradictions, nous ne pourrons encore le soutenir longtemps. Nombreux sont ceux qui s’apprêtent à vénérer n’importe quelle idole et à servir n’importe quelle vérité, pourvu que l’une et l’autre leur soient infligés et qu’ils n’aient plus à fournir l’effort de choisir leur honte ou leur désastre.
E.-M. CIORAN, De l'inconvénient d'être né.
13-
Or la Servitude parfaite consiste à être obligé de servir toute sa vie un Maître, pour la nourriture et les autres choses nécessaires à la vie, qu’il doit fournir à l’Esclave. Et cette sujétion ainsi entendue, et renfermée dans les bornes de la Nature, n’a rien de trop dur en elle-même : car l’obligation perpétuelle où est l’Esclave de servir son Maître est compensée par l’avantage qu’il a d’être assuré d’avoir toujours de quoi vivre; au lieu que les gens de journée ne savent la plupart du temps comment subsister : d’où il arrive souvent qu’ils voudraient trouver quelqu’un chez qui ils puissent demeurer, sans autre salaire que la nourriture et l’entretien; et l’on a vu même des Esclaves, qui après s’être enfuis, sont revenus d’eux-mêmes à leur ancienne crèche, comme le dit un ancien poète comique.
GROTIUS, Droit de la guerre et de la paix, II, ch. V § 27.
14-
La passion [...] trouve son plaisir et son contentement dans le sentiment de la servitude. Et, comme la raison ne cesse cependant pas de faire appel à la liberté interne, l'infortuné soupire dans ses fers, sans toutefois pouvoir les briser, parce qu'ils se sont pour ainsi dire soudés avec ses membres.
E. KANT, Anthropologie d’un point de vue pragmatique, § 81.
15-
Les sciences, les lettres et les arts, moins despotiques et plus puissants peut-être, étendent des guirlandes de fleurs sur les chaînes de fer dont [les peuples] sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté originelle pour laquelle ils semblaient être nés, leur font aimer leur esclavage.
J.-J. ROUSSEAU, Discours sur les sciences et les arts.
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