LE
MONDE DES PASSIONS
LA DISSERTATION
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« Une personne que je croyais spirituelle me
niait aujourd'hui qu'il y ait énergie sans
passion et elle paraît avoir lié étroitement ces
deux idées. J'ai soutenu fortement que là où il
y avait passion entraînante, il n'y avait point
de véritable énergie, malgré tous les signes de
la plus grande force déployée. La force est dans
ce cas organique et non point morale. La mesure
de l’énergie vraie est dans la résistance; et
celle-ci, il est vrai, se proportionne à la
force de la passion. D’où il suit précisément le
contraire de ce que croient les hommes charnels,
savoir que la véritable énergie est employée à
combattre, et non pas à suivre les passions, que
loin que la passion soit cause et mesure de
l’énergie, elle lui est son antagoniste. Ce
n’est pas à la passion, mais à la volonté ou à
l’activité libre et morale qu’appartiennent la
force et la véritable énergie. »(Maine de Biran,
Journal, 1822)
Dans quelle mesure les œuvres au
programme vous paraissent-elles vérifier cette
affirmation ?
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Mise
en place du sujet :
les mots-clés : les mots énergie et passion
sont répétés et distingués tout au long du texte. Dans cette
longue citation, Maine de Biran exprime son désaccord à
l'égard d'une personne dont on sait qu'il s'agit d'Henri
Beyle, autrement dit Stendhal. Ce sujet permet donc de dégager
quatre notions ou représentations qu'il nous faut d'abord
éclaircir :
- le mot énergie désigne la force de la volonté qui
l'oriente vers l'action et, plus largement, la manifestation
concrète chez une personne de l'aptitude à agir;
- cette acception paraît de prime abord peu compatible avec ce
que la passion suppose de passivité : en proie à ses passions,
l'être paraît dominé par ses sens, incapable de réagir
rationnellement à une force impulsive. C'est ce que Maine de
Biran appelle une force organique pour l'opposer à
la force morale qui, selon lui, gît tout entière
dans la volonté.
- l'opposition entre Maine de Biran et Stendhal n'a pas de
quoi surprendre. Philosophe issu des Lumières, Maine de Biran
est un observateur attentif de la vie psychologique, soucieux
de s'en tenir aux faits. Quant à Stendhal, ses romans
illustrent une virtú tout italienne à travers des
personnages mus par leur ambition ou leur souci
d'épanouissement personnel (Julien Sorel dans Le
Rouge et le Noir ou Fabrice del Dongo dans La
Chartreuse de Parme). Dans un de ses essais,
Henri Martineau évoque la rencontre entre les deux hommes :
Je ne sais si tout
un soir Maine de Biran a exposé à Henri Beyle rencontré dans
le monde que la passion et l’énergie sont des notions
radicalement opposées. A coup sûr ce dernier ne s’est pas
rendu à ses raisons, sinon il n’eût pas écrit que les
caractères vraiment énergiques se trouvent parmi les
criminels, il n’eût pas admiré un peu à tort et à travers la
passion impulsive. Il est vrai que toute passion lui
apparaissait comme un remède au fléau du monde, à l’ennui.
Et pour se sauver de l’ennui, que n’eût-il dit et écrit ?
(Henri Martineau, Le cœur de Stendhal, 1952).
- chez Stendhal en effet,
l'énergie se confond avec les passions ; celles-ci signalent
les âmes élues, inaptes à vivre dans le conformisme social et
décidées à retourner contre ses valeurs fossilisées leur «
faculté de sentir ». Dans cette énergie, figure au premier
plan la passion d'être soi, de se réaliser librement contre
tous les déterminismes avec pour seul but le plaisir. «
J'aime la force, dit Stendhal, et de la force que
j'aime, une fourmi peut en montrer autant qu'un éléphant »
(Rome, Naples et Florence). L'influence exercée sur
le jeune Beyle est celle de Diderot et d'Helvétius, et s'allie
à la tempête des passions romantiques où s'inscrira plus tard
aussi la pensée de Hegel.
- le désaccord est donc total entre Stendhal et Maine de Biran
qui semble mettre dans le mot passion ce qu'y
mettaient les Classiques : un trouble de l'âme contre lequel
il convient de s'élever, manifestant la seule énergie qui
vaille, celle du combat contre soi-même.
la
problématique : le sujet porte sur le paradoxe de
la passion, faite tout à la fois de passivité et d’activité.
Pour en débattre, il conviendra de se placer d'abord dans le
point de vue de Maine de Biran, plus proche de la doxa qui
assimile ordinairement passion et passivité, puis d'examiner
la position de Stendhal avant de proposer une synthèse.
La passion
abolit-elle toute force morale ?
Organisation
du plan :
THÈSE : La passion est une
souffrance subie...
1.
La passivité de la passion.
Elle annihile toute résistance
et rend sourd à la raison. Le langage courant le confirme,
dans des expressions stéréotypées comme l'empire de la
passion ou des passions dévorantes.
Maine de Biran parle pour cela de force organique et non
d'énergie, puisque celle-ci suppose un combat et que nous
n'avons affaire dans la passion qu'à un entraînement.
ex
: chez Racine, la passion incarne un
piège fatal où la volonté humaine est inopérante. Oreste
manifeste cette impuissance : « Je me livre en
aveugle au destin qui m'entraîne » (Andromaque,
I, 1) Cette assimilation des fureurs de la passion avec
quelque malédiction divine a son pendant biologique
chez Balzac. La peinture clinique de l'érotomanie du baron
Hulot fait, selon Zola, de La Cousine Bette un
"roman expérimental".
2.
L'énergie de la volonté.
C'est dans la résistance aux
passions que la force morale est la plus grande
puisqu'elle suppose l'oubli de soi.
ex : Hume pensait que la morale pouvait
naître des sentiments : « Seuls des sentiments, des
désirs ou des passions peuvent constituer des
motivations.» Mais les passions naissent le plus
souvent de désirs personnels qu'elles visent à assouvir
égoïstement. Kant affirme au contraire que seule la raison
peut dicter à l'homme ses devoirs et l'amener sur le terrain
de la sociabilité, ce que le philosophe appelle l'autonomie
de la volonté.
ANTITHÈSE : ...mais elle peut
révéler une authentique énergie morale.
1.
L'énergie de la
passion.
On ne peut
nier que la passion soit un puissant ressort capable
d'amener les hommes à se dépasser. Même s'il s'agit de
pulsions frustes ou de besoins primaires, les passions
poussent les hommes à cultiver leurs aptitudes, et, par le
jeu des conflits, à discipliner leurs penchants. Ils sont
les artisans de leur propre liberté mais œuvrent aussi à
l'équilibre social et à l'essor de la civilisation.
ex : Les
personnages de Balzac sont, dit Baudelaire, « doués de
l’ardeur vitale dont il était animé lui-même. Toutes ses
fictions sont aussi profondément colorées que les rêves.
Depuis le sommet de l’aristocratie jusqu’aux bas-fonds
de la plèbe, tous les acteurs de sa Comédie sont plus
âpres à la vie, plus actifs et rusés dans la lutte, plus
patients dans le malheur, plus goulus dans la
jouissance, plus angéliques dans le dévouement, que la
comédie du vrai monde ne nous les montre ».
2. Le
danger du conformisme moral.
Veiller à discipliner ses
passions peut aussi révéler une simple obéissance à la loi
morale, dictée par la peur ou le grégarisme. Rares sont
ceux qui osent assouvir leurs passions en raison de ce que
cela suppose de courage et de révolte.
ex : Pour moi, l’activité humaine
en général dérive d’intérêts particuliers, de fins
spéciales ou, si l’on veut, d’intentions égoïstes, en ce
sens que l’homme met toute l’énergie de son vouloir et de
son caractère au service de ces buts en leur sacrifiant
tout ce qui pourrait être un autre but, ou plutôt en leur
sacrifiant tout le reste. Ce contenu particulier coïncide
avec la volonté de l’homme au point qu’il en constitue
toute la détermination et en est inséparable : c’est par
là qu’il est ce qu’il est. (Hegel, La Raison
dans l'histoire).
SYNTHÈSE : Seul
l'objet de la passion peut déterminer son degré
d'énergie.
1. La
nature de l'énergie dont parle Maine de Biran reste
douteuse.
S'agit-il de l'effort de
raison dont parle Kant ? Mais comment la raison
pourrait-elle discipliner ce qui, issu des profondeurs de
l'être, n'est pas de son ressort ?
ex :
Chez Racine, les personnages agissent contre leur intérêt.
Hume montre que la raison est toujours esclave des
passions, inapte à les maîtriser du fait qu'elle
n'appartient pas à la même nature : Il apparaît ainsi
que le principe, qui s’oppose à notre passion, ne peut
s’identifier à la raison et que c’est improprement qu’on
l’appelle de ce nom. Nous ne parlons ni avec rigueur ni
philosophiquement lorsque nous parlons du combat de la
passion et de la raison. La raison est, et elle ne peut
qu’être, l’esclave des passions ; elle ne peut prétendre
à d’autre rôle qu’à les servir et à leur obéir.
(Traité de la nature humaine, II).
2.
On
ne peut moraliser la passion qu'à partir de son objet.
La qualité de l'énergie
est-elle vraiment le problème ? Toute passion semble
mobiliser l'être sans partage. Mais ce que l'on peut
trouver à redire dans l'aveuglement fanatique se rehausse
de tout autres couleurs dans l'amour-passion. Et que dire
du courage, du sacerdoce, de l'abnégation de l'artiste ?
Il y a, en effet, des passions qui tuent et d'autres qui
sauvent : l'énergie de celles-ci tient à leur possibilité
de réalisation dans le monde et la force qu'elles
déploient ne doit rien à un effort de résistance.
ex : «
Les passions amorties, écrit Diderot, dégradent
les hommes extraordinaires. La contrainte anéantit la
grandeur et l’énergie de la nature ». La jalousie
d'Hermione et de Bette reste sans doute une passion
dévoratrice et mortifère de par l'étroitesse de son objet,
limité au ressentiment personnel. Mais des passions à
l'unisson, dit encore Diderot, équilibrées l'une
par l'autre, assurent en l'homme une juste
harmonie.
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