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PREMIÈRE GÉNÉRALE : HUMANITÉS, LITTÉRATURE ET PHILOSOPHIE
L'HOMME ET L'ANIMAL |
La relation à l’animal constitue un révélateur de la place que l’homme s’attribue dans la
nature et dans le monde, avec de fortes implications philosophiques, éthiques et pratiques.
La période de référence se caractérise par une remise en question de la frontière entre
l’homme et l’animal, telle qu’elle était généralement admise au Moyen Âge. De Montaigne à
Buffon, cette séparation apparaît plus fragile ou discutable. Le statut de l’animal devient un
enjeu majeur, comme en témoigne l’importance de la querelle sur « l’animal-machine ». Les
questions de l’intelligence animale et de la communication entre animaux sont abondamment
débattues. Les ressemblances, les analogies et les dissemblances entre hommes et bêtes
sont méticuleusement explorées, par le fabuliste comme par le naturaliste.
L’étude des textes de la période de référence permet d’explorer la complexité de ces
relations et de réfléchir sur ce que la connaissance des autres espèces apporte à la
connaissance de l’homme. Elle permet également d’aborder certaines questions vives
d’aujourd’hui : l’exploitation animale, les droits des animaux, les « cultures animales ».
Bibliographie indicative :
Montaigne, Essais, II.12 [Apologie de Raymond Sebond] (1580-1588) — A. Paré, Des
monstres et prodiges (1573) — Descartes, Discours de la méthode [5e
partie] (1637)— La
Fontaine, Fables (1668-1694) — La Rochefoucauld, Réflexions diverses [Du rapport des
hommes avec les animaux] (publ. 1731) — Malebranche, La Recherche de la vérité
(1674-1678) — Perrault, Contes (1697) — Madame d’Aulnoye, Contes [La Belle et la Bête]
(après 1696) — Mandeville, La fable des abeilles (1714) — Jonathan Swift, Les Voyages de
Gulliver (1735) — Buffon, Histoire naturelle (1749-1804) — La Mettrie, L’homme-machine (1748)
— Voltaire, Zadig (1748) — Condillac, Traité des animaux (1755) — Rousseau, Discours sur
l’origine et les fondements de l’inégalité (1755) — Voltaire, Dictionnaire philosophique [Bêtes]
(1764) — Diderot, Le Rêve de D’Alembert (1769) — Restif de la Bretonne, La Découverte
australe (1781).
Prolongements :
Homère, Odyssée [chants 9 à 12] (8e s. av. J.-C.) — Hérodote, Histoires [livre 2 et 4] (5e s. av. J.-C )
— Platon, Timée, Critias (4e s. av. J.-C.) — Aristote, Histoire des animaux, Du Ciel (4e s. av. J.-C) — Cicéron, La
République (1er s.) — Tacite, La Germanie (1er s.) — Pline l’Ancien, Histoire Naturelle [extraits
livre 2, 8-11] (1er s.) — Plutarque, Sur l'intelligence des animaux ; Sur la consommation de
chair ; Que les bêtes ont l’usage de la raison (1er-2e s.) — Lucien, Histoires vraies (2e s.) — Les Questions de Milinda (Milindapanha) — Vincent de Beauvais, Miroir naturel [extraits] (vers
1250) — Saga d’Erik le Rouge (13e s.) — Marco Polo, Le Devisement du monde (1298)
— Laplace, Exposition du système du monde [livre V : Précis de l’histoire de l’astronomie]
(1796) — Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique (1798) — Darwin, L’origine des
espèces (1859) — Jules Verne, Voyages extraordinaires (1863-1919) — Colette, Sept dialogues
de bêtes (1905) — Bergson, L’Évolution créatrice (1907) — M. Mauss, Essai sur le don (1923-1924) — Victor Segalen, Les Immémoriaux (1907), Essai sur l’exotisme (1955) — Kafka, La
Métamorphose (1915) — Henri Michaux, Un barbare en Asie (1933) — G. Bachelard, La
Formation de l’esprit scientifique (1938) — George Orwell, La Ferme des animaux (1945) — Vercors, Les Animaux dénaturés (1952) — C. Lévi-Strauss, Tristes Tropiques (1955)
— T. S. Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques (1962) — Nicolas Bouvier, L’Usage du
monde (1963).
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La compagnie des animaux est, depuis
les origines, à la source d'attitudes diverses où s'accusent les
caractères essentiels de l'humain. Par ses dispositions à l'égard de
l'animal, l'homme a manifesté en effet tout autant sa prétention à
incarner une nature supérieure que sa reconnaissance d'une ambiguïté de
ce statut : la domestication a pu révéler les formes les plus achevées
de son impérialisme sur la nature, mais ses excès mêmes ont fait douter
de sa légitimité. Réfléchir sur les rapports de l'animal et de l'homme,
c'est donc bel et bien réfléchir sur l'homme lui-même. On notera
toutefois qu'au lieu de nous amener à s'interroger sur "L'homme et
l'animal", notre programme préfère inverser les termes de la
proposition. Détail ? Nullement : c'est du côté de l'animal qu'il
conviendra aussi d'examiner ces rapports, en partant davantage du
patrimoine naturel que nous partageons avec lui et en examinant de
préférence comment "nos frères farouches" contribuent à la structure de
notre psychisme. Ce patrimoine dont l'homme s'arroge un peu vite la
meilleure part, les définitions des dictionnaires en donnent une
première idée, en rappelant que le terme "animal" inclut l'humain,
comme La Fontaine nous en avertit dans son discours à M. de La
Rochefoucauld : [...] la nature /
A mis dans chaque créature /
Quelque grain d'une masse où puisent les esprits : /
J'entends les esprits corps, et pétris de matière
(Fables, livre X).
I. animal, aux - n. m.
• XIIe; mot lat., de anima
« souffle, vie »
1. (Concept
général, incluant l'homme)
A/
Biol. Être vivant
organisé, doué de sensibilité et de motilité, hétérotrophe (difficile à
distinguer du végétal à l'état unicellulaire).
B/ Cour. Animal raisonnable, social,
supérieur, humain, etc. : l'être humain.
à (1537) T. d'injure Personne
grossière, stupide, brutale. « Il commence à me courir, l'animal » (Curtis).
2. (Concept
excluant l'homme)
Être vivant non végétal, ne possédant pas les
caractéristiques de l'espèce humaine (langage articulé, fonction
symbolique, etc.). Þ bête; insecte, mammifère, mollusque, oiseau,
poisson, reptile, ver, etc.
Science qui étudie les animaux. Þ zoologie. Classification des animaux. Þ taxinomie,
zootaxie. Animaux actuels,
fossiles. Þ faune.
Animaux fabuleux, symboliques. Animaux sauvages (Þ fauve), domestiques, de compagnie, de
boucherie. Apprivoiser, domestiquer, dompter, dresser un animal. — L'animal-machine :
l'animal, selon la conception mécaniste de Descartes (opposé à l'homme, qui raisonne). « L'animal primitif qui
subsiste indéfiniment dans l'homme » (Taine). Þ
bête, brute; bestialité. L'homme
et l'animal. Þ anthropomorphisme. Société protectrice des animaux
(S. P. A.) : société fondée en 1845, veillant
au bon traitement des animaux et poursuivant, le cas échéant, par voix
judiciaire, tout abus constaté à leur égard.
Animaux purs, impurs : distinction établie par
la loi mosaïque et déclarant impropres à l'alimentation les animaux
amphibies et ceux au pied fendu (grenouille, porc, âne, lièvre, etc.).
II. animal, ale, aux - adj.
• XIIIe; lat. animalis
1.
Qui a rapport à l'animal [opposé à végétal
et incluant l'homme]. Espèces
animales. Règne animal. Fonctions animales : fonctions
sensitives, nerveuses et motrices qui caractérisent le règne animal. Chaleur
animale, dégagée par le corps. Milieu sans vie animale azoïque).
Vx Esprits animaux.
Ce qui en l'homme est propre à l'animal. Þ bestial, brutal,
charnel, 1. physique,
sensuel. « L'instinct maternel est divinement
animal » (Hugo). Une confiance animale, instinctive. Une
beauté animale.
2. Qui est propre à l'animal (excluant l'homme).
Instinct animal. Graisse,
matière animale, qui provient des bêtes. Charbon, noir animal.
Traction animale, produite par l'animal. Étude du
comportement animal. Þ éthologie.
CONTR. Végétal. Spirituel.
©Petit Robert
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Ces définitions marquent aisément le
seuil au-delà duquel l'homme ne peut plus être compté comme animal :
celui où se manifestent le langage articulé, le libre arbitre, la
fonction symbolique, et non plus seulement l'instinct. Pourtant
l'Antiquité est profondément marquée par le courant pythagoricien, où
puise Platon, qui considère une seule Âme universelle dont les animaux,
hommes et bêtes, se souviennent à des degrés divers qui justifient leur
hiérarchie dans le processus de « métensomatose ». La condamnation de
la chasse, de la nourriture carnée s'expliquent ainsi par cette
conscience d'une communauté d'êtres vivants qu'exprime avec force
l'intuition
panthéiste. Si les courants rationalistes ont plus tard étayé une
distinction entre l'animal et l'homme, faisant de celui-ci, zôon
logikon, un animal "politique" (Aristote), "sociable"
(Montesquieu), "métaphysique" (Schopenhauer), voire "fielleux"
(Cioran), la variété des comportements animaux et l'aptitude singulière
de certains d'entre eux à la vie sociale n'ont cessé pour autant de
générer des interrogations quant au bien-fondé de cette suprématie
humaine confortablement installée par le rationalisme classique.
Montaigne témoignera de ce scepticisme en reprenant dans son
Apologie de Raimond Sebond
des thèses déjà défendues par Plutarque : La
présomption est notre maladie naturelle et originelle. La plus
calamiteuse et fragile de toutes les créatures, c'est l'homme, et
pourtant la plus orgueilleuse. [...] C'est par la vanité de cette même
imagination qu'il s'égale à Dieu, qu'il s'attribue les conditions
divines, qu'il se choisit lui-même et se sépare de la foule des autres
créatures, taille les parts aux animaux ses confrères et compagnons, et
leur distribue à sa fantaisie telle portion de facultés et de forces.
Comment connaît-il par l'effort de son intelligence les mouvements
internes et secrets des animaux ? par quelle comparaison d'eux à
nous conclut-il à la bêtise qu'il leur attribue ? » Il
fallait en effet une tout autre confiance en la raison pour séparer
radicalement l'homme de l'animal, car, sur le plan des mœurs, quelles
leçons de fidélité, de courage, d'ingéniosité même celui-ci n'est-il
pas capable de nous donner ?
Au XVII° siècle, les progrès de la science, et
particulièrement de la biologie, furent de nature à dissiper ces doutes
: le vivant, conçu comme un assemblage de tuyaux et de pompes, englobe
naturellement l'homme et l'animal dans une même mécanique, mais impose
une nouvelle définition de l'âme. Émanation de la vie pour les anciens,
elle devient ainsi pour
Descartes la pensée
elle-même et l'attribut fondamental par lequel l'homme échappe au
déterminisme animal. La dichotomie cartésienne entre l'âme et le corps
réduit celui-ci à une machine périssable mais exclut de ce destin le
principe humain essentiel : la faculté de percevoir et de raisonner qui
est, elle, d'origine divine. Cette représentation des «
animaux-machines » revient donc à refuser à l'animal toute expression
volontaire et englobe son individualité dans une déclinaison
sempiternelle de mécanismes. La théorie s'imposa après Descartes : La
Fontaine peut bien en douter, notamment dans son
Discours à Mme de la Sablière, mais Rousseau l'étaye encore
en considérant l'imbécillité de l'animal comme la condition première -
et heureuse - de l'humanité. Buffon, de son côté, installe l'homme en souverain
de la Création, où les espèces animales ne semblent faites que pour
être apprivoisées : « L’empire de l’homme sur les animaux est un empire légitime qu’aucune révolution ne peut détruire ; c’est l’empire de l’esprit sur la matière, c’est non seulement un droit de nature, un pouvoir fondé sur des lois inaltérables, mais c’est encore un don de Dieu, par lequel l’homme peut reconnaître à tout instant l’excellence de son être. Car ce n’est pas parce qu’il est le plus parfait, le plus fort ou le plus adroit des animaux qu’il leur commande : s’il n’était que le premier du même ordre, les seconds se réuniraient pour lui disputer son empire ; mais c’est par supériorité de nature que l’homme règne et commande : il pense, et dès lors il est maître des êtres qui ne pensent point. »
(Histoire naturelle universelle). L'idéalisme cartésien connaîtra certes les assauts
du sensualisme de Condillac et, au XIX° siècle, ceux de
l'évolutionnisme de Darwin, mais tous deux, s'ils considèrent l'homme
comme issu de la chaîne animale, confirment sa supériorité par la
spécificité de son acquisition du langage et d'une culture qui lui
permet d'échapper au processus de sélection naturelle. Plus près de
nous, les béhavioristes américains, les travaux de Pavlov sur le
réflexe conditionné, contribuèrent à conforter l'homme et l'animal dans
cette hiérarchie.
Fort de cette caution donnée par la science et la
philosophie, l'impérialisme de l'homme pouvait dès lors s'appliquer
sans vergogne sur l'animal. Les perspectives commencèrent néanmoins à
s'inverser dès la fin du XVIII° siècle. Alors que Diderot hasarde qu'il vaut mieux éviter
d'attribuer aux animaux autre chose que leur subordination à
l'instinct, sans quoi il y aurait une cruauté inouïe à leur
faire du mal, Jeremy Bentham conclut plus radicalement de leur
capacité à souffrir la nécessité de leur reconnaître des droits. Mais
ces scrupules de conscience ne commencèrent à s'affirmer que lorsqu'on
consentit à observer les animaux en dehors des laboratoires,
c'est-à-dire au moment où le sentiment de la nature
alerta les civilisations avancées des ravages qu'elles commettaient. A
ce moment, les thèses mécanistes purent être sérieusement mises en
cause, d'abord parce que leur dogmatisme parut bien sommaire face aux
observations scientifiques des éthologues, mais aussi en raison de leur
mépris de l'instinct. Konrad Lorenz, notamment, sut mettre au jour les
instincts secondaires de l'animal, produits d'une véritable culture, et
déplora que, chez l'homme, la volonté de les exclure entraîne une
constante inadaptation : c'est, à ses yeux, en effet, l'un des « huit
péchés » de la civilisation occidentale que d'avoir entraîné chez le
jeune humain une indétermination de l'instinct qui devient souvent
facteur de violence. De la même manière, Lorenz soupçonna que notre
attitude à l'égard des animaux n'est qu'une des formes de notre
ethnocentrisme, celui-là même qui a rejeté les peuples « primitifs »
dans la barbarie. Cette prise de conscience générée par l'écologie et
la dénonciation du « spécisme », telles qu'on les trouve par exemple dans la pensée de Peter Singer, amènent certes à plus de dignité et
justifient que les animaux soient aujourd'hui considérés si
quotidiennement comme des compagnons. Mais ce renversement des valeurs
n'est pas sans excès, et on pourra s'interroger par exemple sur la
validité juridique et philosophique d'une
Déclaration
universelle des droits de l'animal. Cette évolution vers une
reconnaissance de la «
personne
animale » suppose parfois, en effet, que puissent se dégager
moins nettement les prérogatives de l'humain dans un contexte où il se
trouve de plus en plus menacé : cette humanité, c'est bien à quoi
s'accroche désespérément un Primo Levi, témoin et victime à Auschwitz
de l'animalisation systématique des détenus. Que valent ici le prestige
de la vie sauvage et la beauté « authentique » de l'animal ?
Notre programme, toutefois, nous amènera à compléter ces
perspectives, en raison de la présence, aux côtés de Condillac, d'un La
Fontaine ou d'un Kafka. L'anthropomorphisme des fables est, à vrai
dire, ambigu : il pourrait être facilement mis au compte d'une
récupération purement allégorique de l'animal dans l'attribution à ses
diverses espèces de caractères spécifiquement humains. Mais La Fontaine
y défend ainsi une parenté étroite entre les deux règnes, qui dépasse
l'analogie des comportements. L'animal exerce dans l'homme une fonction
fantasmatique qui le rend indissociable de nos représentations du monde
et de nous-mêmes. Les innombrables bestiaires poétiques, les symboles,
les rêves, expriment cette interdépendance. La place que l'homme lui a si souvent
refusée dans l'échelle du vivant, l'animal l'a prise ainsi dans notre
imaginaire, cristallisant nos dispositions morales comme nos
épouvantes. Ce pourra être une des directions de ce programme que de
confronter à la réflexion philosophique, souvent empreinte ici
d'anthropocentrisme, la prégnance en nous, plus ou moins avouée, d'un
modèle animal que la littérature révèle plus finement.
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