la réfutation
La deuxième partie de l'écriture personnelle consiste à
réfuter la thèse que vous avez préalablement concédée et à affirmer votre
position. Il s'agit d'un seul et même mouvement, l'assise la plus solide que
peut prendre une opinion étant souvent la critique.
Exercice 1 : contre-argumenter.
Devant une thèse
à réfuter, vous aurez bien sûr plus ou moins de facilités à le faire selon la
nature de votre opinion. Vous serez peut-être plutôt porté à l'approuver.
Sachez néanmoins que rien, dans le domaine des idées, n'est ni absolument vrai
ni absolument faux. Tenter de réfuter une thèse que l'on serait plutôt enclin
à partager est un excellent exercice de tolérance !
Exercez-vous à ce travail sur
le sujet suivant, en ayant soin d'infirmer ou de nuancer les trois arguments qui vous sont
fournis :
Claude Lévi-Straus écrit : "L'écriture paraît
favoriser l'exploitation des hommes avant leur illumination. [...] La lutte contre
l'analphabétisme se confond ainsi avec le renforcement du contrôle des citoyens par le
Pouvoir."
(Tristes tropiques - lisez ici un extrait plus important).
Vous réfuterez cette thèse. |
a.
L'alphabétisation répond à un souci de nivellement, d'organisation aisément
contrôlable. Ainsi l'école de Jules Ferry a contribué à éradiquer les langues
régionales, constituant par là même une identité française bâtie sur des normes
impératives.
b. Écrire, lire, c'est obéir à ces codes, s'exposer à une
sanction et à une sélection. En effet la norme écrite reste déterminante dans les
cursus universitaires et elle exclut impitoyablement ceux qui ne la maîtrisent pas.
c. "En accédant au savoir
entassé dans les bibliothèques, les peuples se rendent vulnérables aux mensonges que
les documents imprimés propagent", écrit Lévi-Strauss. Comment en effet
endoctriner les masses sans que celles-ci puissent avoir accès à l'écrit ?
Juger une thèse :
Dans votre contre-argumentation
comme dans la conclusion de votre travail, vous aurez à juger la thèse adverse :
- vous emploierez des évaluatifs péjoratifs (n'exagérez pas : tout le monde ne peut traiter de "gueux" son
adversaire, comme le fit Voltaire dans sa réfutation du
Discours sur l'inégalité de Rousseau !) et un ton polémique;
- vous pourrez utiliser quelques adresses à ce dernier pour accentuer la
valeur impressive de votre texte et lui donner un caractère de réquisitoire (interrogations
oratoires, par exemple, qui
soutiendront la contradiction que vous repérez dans la thèse adverse);
- vous aurez soin de modaliser fortement votre thèse dans le sens de la
certitude (formes sentencieuses
qui pourront soutenir vos arguments d'autorité).
Enfin vous pourrez synthétiser vos reproches dans un jugement global où l'on peut repérer
quelques constantes :
OBSERVATIONS
SUR
LA THÈSE ADVERSE |
COMMENT
LA JUGER ? |
QUELS
ARGUMENTS
LUI OPPOSER ? |
elle paraît trop
schématique et caricaturale |
on parlera d'une thèse simpliste |
mise en contradiction de
l'adversaire avec lui-même |
elle semble peu prendre en compte les réalités
présentes |
la thèse vous paraîtra dépassée,
obsolète, irréaliste |
un exemple
argumentatif |
elle manifeste trop la subjectivité du locuteur |
vous la trouverez excessive, passionnée |
un argument bâti sur la logique |
elle repose sur des lieux communs |
la thèse est stéréotypée |
un argument bâti sur l'expérience |
Exercice 2.
Quelles sont les techniques de
réfutation employées par l'auteur ? Vous pourrez tenter de retrouver dans ce
texte les armes classiques que sont
- la mise en contradiction de l'adversaire avec lui-même,
- les arguments d'autorité,
- la force de l'exemple argumentatif,
- le
vocabulaire péjoratif.
La mode est au
pessimisme, à l'apocalypse, seuls les devins tristes sont honorés.
Les moralistes, autrefois si écoutés, proclament la dégradation des
mœurs, l'affaiblissement de la famille, l'irrévérence des jeunes pour
leurs aînés. On connaît celle antienne depuis des millénaires, les
moralistes n'ont jamais dit autre chose, et pourtant les mœurs existent
toujours, les aînés dirigent toujours les jeunes, et les amoureux voulant
fonder une famille continuent à s'unir par les liens sacrés du mariage.
Les sociologues énumèrent les méfaits de la ville; demain, nous aurons
les « urbaniatres », qui, comme les « sociatres » actuels, affronteront
d'autant plus les tâches qu'ils se les fabriqueront. Et pourtant nos rues
sont plus propres et nos habitations sont moins surpeuplées qu'autrefois,
et on se porte mieux en ville qu'à la campagne. Le citadin s'y protège
mieux contre les intempéries, il s'y fatigue moins, l'eau qu'il boit à son
robinet est médicalement plus saine que celle de la plupart des puits.
Les médecins nous disent à quel point notre santé physique est menacée,
puisque, à les entendre, nous mangeons mal, nous respirons mal, nous
travaillons mal. Et pourtant de nombreuses maladies ont été vaincues,
l'homme est plus vigoureux que jamais, sa vie s'allonge sans cesse, son
alimentation fait l'objet de perfectionnements et de tels contrôles qu'une
boîte de conserve de haricots verts est plus saine que bien des légumes
ayant séjourné sur les marchés.
Toutes nos activités sont « psychiatrisées » : la vie en société, les
gestes de la vie quotidienne, la conduite de nos voitures. Tout est
angoisse : à l'aide d'un double sens, nous sommes tous « aliénés », nous
allons à la dépression généralisée. Grâce à ces beaux parleurs («
charlatan » vient d'un vieux mot italien qui signifie « parler »),
nous nous approchons de l'an 2000 au milieu des mêmes fables et des mêmes
terreurs que nos ancêtres d'il y a dix siècles, sans plus de rationnel
qu'eux. Nous sommes en plein millénarisme.
Jean-Claude Sournia, La Grande peur de l'an 2000 (Le Monde) |
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